#RpNdar3# Les relations entre les religions, la politique et la démocratie au Sénégal

La troisième édition des rencontres politiques de Ndar a porté sur les relations entre les religions, la politique et la démocratie au Sénégal. Les rencontres politiques de Ndar sont un concept initié par CERADD avec le concours de la Fondation Rosa Luxembourg.  Elles sont un lieu d’apprentissage pour les étudiants et un moyen de proposition pour les gouvernants.

La singularité du système politique sénégalais réside dans l’étroitesse des rapports entre religions et politique. Comment ces relations se sont construites? Comment se sont-ils évolués? Pour y répondre, Dr. Blondin Cissé, enseignant-chercheur à l’UFR CRAC et Maitre Abatalib Guèye ont apporté leur contribution sous la modération du Pr. Abdoulaye Niang, président de l’Université Kocc Barma de Saint-Louis

Les rapports entre les hommes politiques et les autorités religieuses

Dr. Blondin Cissé, enseignant-chercheur à l’UFR CRAC  a entamé son exposé par la question de savoir si la logique confrérique est-elle compatible avec la dynamique démocratique ?

Pour y répondre, il retient d’abord un certain nombre de préalables sous formes d’interrogation. Ainsi soulève-t-il les interrogations suivantes : les rapports de subjectivisation dans les confréries permettent- ils d’accéder à la citoyenneté ? La dynamique confrérique est-elle compatible avec la démocratie ? Comment créer les conditions d’un vivre-ensemble libre de toute appartenance privative ? La démocratie peut-elle se construire à partir de logiques confrériques ? Faut-il séparer religions et politique en Afrique ? En réponse à ces interrogations, docteur Cissé conclut que toute construction de la démocratie appelle une émancipation des confréries et des logiques de communautés à défaut d’un équilibre raisonnable entre religion et politique. Il fait observer le paradoxe qui entoure les liens entre politique et religions. Pour lui, l’espace public est un lieu de désidentificationalors que la confrérie ou la religion est un espace où se construit une identité ; l’espace public appelle le bien public or l’espace confrérique appelle de biens privés. Pour asseoir son argumentation, il a remonté le fil de l’histoire pour situer l’émergence de la laïcité en occident. En partant du concordat jusqu’ à la loi de 1905 en France, il a montré le processus d’émancipation de la politique du fait religieux. Il en déduit un rapport de dissociation avec ce qui se passe en Afrique. Selon lui, l’homme politique africain exploite la cosmogonie africaine. Ainsi il y fait appel pour se construire un destin politique. D’où une tension chez l’homme africain. Tension entre l’héritage arabo- musulman et celui judéo-chrétien. Ce double héritage a pour conséquence directe que la séparation entre privé et public, ou pour mieux dire, entre politique et religion n’est pas effective. Au contraire, ces concepts se lient en Afrique. Il en résulte une confusion entre le fait politique et le fait religieux. En effet, les fondateurs des confréries ont constitué un bastion de résistance pendant la période coloniale. Pour cette raison, les masses s’y refugièrent. Pour récupérer celles –ci les autorités politiques ont fait allégeance pour conquérir et consolider leur pouvoir surtout après les indépendances. Jusqu’ en 2000 cette allégeance était implicite notamment sous Senghor et Diouf. Sous Wade, elle devient explicite voire revendiquée. Il en découle une vassalisation du politique par le religieux ou à défaut une collaboration déséquilibrée entre religions et politique.

Le Docteur Cissé a porté la seconde partie de son exposé sur une vision pratique posée sous la nécessaire refondation du rapport /politique religion. A la vérité selon docteur Cissé, l’espace politique est remodelé à l’image de la société sénégalaise. Comment dès lors construire une citoyenneté démocratique ? Faut-il repenser l’être-ensemble. En effet, l’espace politique doit se construire en dehors de la communion, de la fusion des confréries religieuses sans pour autant nier leur réalité et leur impact sur la vie des sénégalais. Il faut affranchir la communauté politique pour que la séparation puisse être possible. Convoquant Claude Lefort, le docteur Cissé est convaincu que la démocratie n’est viable que lorsqu’ il y a une pluralité de perspectives fondées sur la neutralisation de toutes les velléités de domination des affiliations particulières comme les communautés confessionnelles qui pour pourraient remettre en cause la puissance publique.

L’expérience des rapports entre religions et politique au Sénégal

Me Alioune Abba Talib Gueye, avocat à la cour

L’origine de l’immixtion du religieux dans le politique au Sénégal

Maître Gueye rappelle que la relation entre politique et religions est mouvante. Il considère que l’intervention politique des religieux remonte à Blaise Diagne et à Ngalandou Diouf autour de 1928. Elle s’est poursuivie avec Senghor qui fut soutenu par le khalife Général des Mourides, Serigne Fallou Mbacké, et Abdou Diouf qui, en 1988, avait bénéficié d’un Ndigueul formel du khalife des mourides d’alors jusqu’ à Abdoulaye Wade. Les assauts de la religion ont toujours échoué. Depuis la création du Parti sénégalais de la solidarité par Serigne Cheikh Ahmet Tidiane Sy, actuel khalife général des tidianes, jusqu’ à aujourd’hui en passant par la candidature de Serigne Ousseynou Fall, petit-fils de Cheikh Ibrahima Fall, l’action politique des religieux n’a jamais prospéré au Sénégal. En raison de cet échec, la participation des religieux s’est rationnalisée. C’est dans cette nouvelle dynamique que Serigne Mansour Sy Jamil a créé Bess Du Niakk.

La nécessaire séparation du religieux de a politique

Le deuxième exposant est Maitre Abatalib Guèye. Selon l’ avocat, le religieux ne doit s’occuper que de deux fonctions :

  1. une fonction de légitimation
  2. une fonction d’intermédiation

Il reconnaît cependant le lien de dépendance de la politique de la religion. Et l’effritement du ndigueul en 2000 n’a pas contribué à défaire ce lien de dépendance. Les politiques redoutent les marabouts. Mais il est convaincu que la pratique religieuse doit être séparée de la politique même si d’autres pensent qu’il peut y avoir une certaine relation. En dernière analyse, ces deux positions sont défendues par les réformistes dans le premier cas et par les soufis dans le second. Pour terminer, Il met en garde : ainsi partant du fait qu’en 1992 certains chefs religieux s’étaient opposés à la visite du Pape Jean-Paul II au Sénégal, maitre Gueye prône la séparation de la religion et de la politique pour éviter ce que Samuel Huntington appelait le choc des civilisations et pour combattre le fanatisme. Il déplore l’exploitation du pouvoir religieux dans les rapports politiques. Les religieux interviennent pour faciliter des nominations à des postes parfois stratégiques : ambassadeurs, directeurs généraux, ministres, commandement territorial ou, à l’inverse, ils interviennent pour défaire des carrières politiques et administratives : mutations de hauts fonctionnaires, révocations de DG etc Enfin pour Gueye, népotisme et clientélisme sont les deux sources qui alimentent l’interventionnisme politique des chefs religieux. L’Etat doit y faire face. Mais il ne pourrait y faire face qui si le chômage est absorbé, la laïcité respectée et les crises sectorielles résolues.

Le professeur, Abdoulaye Niang, modérateur de la troisième édtion des rencontres politiques de Ndar a fait une syntèse des débats Le professeur Niang, en modérant les discours du docteur Cissé et de maitre Gueye souligne la pluralité des identités au Sénégal : un sénégalais est à la fois sérère, pular, mouride, tidiane, libéral, socialiste. Ces identités, s’inquiète-t-il, sont transposées dans le champ politique. Il note qu’on est dans une société en transition. Le passé est dans le présent, le présent dans le passé. Ainsi politique et religion cherchent-elles chacune à soumettre l’autre.

Plusieurs contributions sont venues du public. Elles se posent en contradictions, apport et questions. Les contributions peuvent se résumer alors au fait que principalement, les intervenants estiment soit que les politiques cherchent encore leur légitimité dans le religieux. L’une des conséquences est la fébrilité de la laïcité au Sénégal. Le cas des minorités religieuses est évoquée à ce propos. Selon certains intervenants, il est nécessaire d’éviter de penser la laïcité dans les mêmes termes que l’occident. Ce serait une défaite de la pensée par le mimétisme en vigueur en Afrique de façon générale et au Sénégal en particulier. De ce fait, il se pose l’exigence de concilier l’Etat républicain avec les logiques communautaires par une réinterprétation de la laïcité en donnant par exemple un statut institutionnel aux autorités religieuses.

A la fin de ce débat riche et fructueux, les conférenciers ont repris la parole. Dr. Cissé réaffirme son propos antérieur. Par rapport à ceux qui s’inquiétaient de la domination de la religion sur le politique, il pense que si tel devait être le cas la République serait en danger. Il invite à prendre garde de la vassalisation du politique par le religieux. Il dénonce par ailleurs une sorte d’angélisme qui veut que les confréries soient des remparts. Or, toutes les tensions au Sénégal proviennent de ces congrégations religieuses précisément.

Quant à Maître Guèye, interpellé sur la vigueur du Ndigeul de Khelcom , rappelle que dans sa communauté, celle des mourides, le ndigeul est obligatoire. En définitive, la religion gouverne la politique et la politique gouverne la religion. Tout dépend de l’intérêt du moment. En répondant à Nino Mendy, il précise que les minorités religieuses doivent prendre leur responsabilité en s’impliquant davantage dans le jeu politique.

Conclusions et recommandations

Pr. Abdoulaye Niang, le modérateur, a conclu la troisième édition des Rencontres Politiques de Ndar en identifiant des axes de réflexion à savoir :

  • Le renforcement de la séparation entre religions, politique et démocratie au Sénégal
  • L’inadaptation du modèle occidental de laïcité en Afrique et au Sénégal
  • La nécessaire conciliation entre valeurs negro- africaines et laïcité

Ainsi que les recommandations suivantes :

  • Assumer les rapports multiséculaires entre religions et politique au Sénégal en se débarrassant de tout complexe des doctrines qui prônent le contraire.
  • Edifier un espace public religieux
  • Créer un espace public des individus où le civisme se promeut et où se dissolvent tous les liens de sang, de foi etc.
  • Faire émerger un choix non fondé sur l’appartenance communautaire
  • Faire émerger un espace politique émancipé de l’empirisme et des logiques fusionnelles.
  • Mettre fin du népotisme
  • Résorber le chômage afin que l’interventionnisme politique des religieux cesse

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