Le système politique sénégalais à l’épreuve des réseaux numériques

La révolution numérique est un phénomène contemporain qui s’applique à tous les champs d’activités y compris le champ politique. Elle modifie en profondeur les habitudes et les pratiques avec des répercussions sur la façon de concevoir le monde. L’économie numérique en est une illustration. En outre, les découvertes technologiques stimulent le mécanisme et cadre de gouvernance des sociétés humaines. Selon David Easton, la théorie ou système de la boîte noire crée une interaction entre action-décision-demande dans la relation décideurs politiques /citoyens.

Au Sénégal, les institutions, les acteurs du jeu politique s’adaptent à ces changements. Le numérique offre des avantages. Par exemple, dans le champ des élections au Sénégal, les technologies de l’information et de la communication ont participé au processus d’informatisation des CNI (1978) jusqu’à la création des cartes biométriques dites cartes CEDEAO (2016) qui regroupent en un seul support les cartes d’identité et d’électeur. Le double objectif assigné à la technique du numérique en matière électorale (à savoir l’enrôlement du plus grand nombre d’électeurs et la production d’un fichier plus fiable et plus proche de la réalité) contribue à asseoir la légitimité du processus de vote. Il crée aussi de nouvelles exigences et de nouvelles ambitions (réclamation du vote électronique, par exemple).

Le Sénégal est un pays avec un profil démographique caractérisé par une population extrêmement jeune et une dynamique de croissance démographique rapide et forte (3,8 %/ an). En effet, la population de moins de 20 ans représentent 55% population totale estimée aujourd’hui à plus de 15 millions (source Banque Mondiale, 2017). Parallèlement à cela, d’autres chiffres situaient les 15- 28 ans à 27% et les 18-28 ans à 20% de la population, il y a quelques années (ANSD, 2013).

Ces tranches d’âge recoupent à peu près celle que les anglophones appellent les millenials (ou digital native parce que nés et élevés dans l’univers du numérique, entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990. Cette digital génération est par conséquent fortement représentée dans la population sénégalaise. Selon les statistiques, le taux de pénétration numérique est de 58% sur une population estimée à plus de 15 000000 hts (moy. africaine : 29%). 8 millions d’internautes. En 2011 ; 17, 5 % des sénégalais utilisaient déjà l’internet. Les modes d’utilisation ou les usages numériques sont nombreuses et variées, y compris les forum et débats politiques (une des formes de la participation politique).  A ce niveau de constat, la question de savoir combien de jeunes le système a-t-il réussi à enrôler se pose.

La réponse à cette question est très peu, relativement au nombre de jeunes sénégalais qui atteint la majorité électorale (18 ans), lors de chaque échéance électorale nationale. En effet, sur une population électorale estimée à 5702 118, les nouveaux inscrits dans le fichier 2017 s’élèvent à 474833. Or la courbe de participation électorale, soit le rapport entre la population générale, les inscrits et les votants commençait à se stabiliser à partir de 2012. En outre, dans ce fichier de 2012, il apparaît que la tranche d’âge des adultes (36-59 ans) est la plus représentée à hauteur de 48, 86% de la population totale.

On peut en déduire donc qu’il y a une sous-représentation des jeunes 18-35 ans dans le fichier électoral. Dans le langage politiste, on va parler d’un déficit de participation politique (en terme d’inscription et de vote). L’idée ici est de voir comment se manifeste ce rendez-vous manqué entre le système politique sénégalais et la révolution numérique (II) et ce qui le fonde et l’explique(III). Mais avant d’en arriver à cela, il est important de déblayer le champ sémantique et dégager les traits caractéristiques du système politique sénégalais (I).

Définitions et caractéristiques du Système politique Sénégalais

Le système politique sénégalais est marqué par le poids de l’héritage français avec notamment la personnalité du président De Gaulle, une personnalisation du pouvoir par un exécutif majoritaire. Le système politique sénégalais a évolué des indépendances aux années 1970. Actuellement, les traits caractéristiques du système politique sénégalais sont l’ouverture à la démocratie, un système relativement ouvert. Le pays est libre avec une démocratie parfaite ou à la rigueur imparfaite (classement Freedom House ou the Economist). Le Sénégal est aussi caractérisé par l’existence de contre pouvoirs. Cependant, il existe un déséquilibre dans les rapports entre le législatif et l’exécutif au profit de ce dernier.

Le modèle démocratique sénégalais est de type majoritaire structuré sous forme de pôles alternatifs. Les partis connaissent un affaiblissement durable alors que le champ politique est en mutation. Celle-ci résulte de l’abaissement des barrières entre la société civile et la société politique.

Le système politique sénégalais à l’heure des TIC : le rendez vous manqué avec le numérique ou le déficit démocratique ?

Le mode d’organisation/structuration des appareils politiques ainsi que les mécanismes de fonctionnement des cadres les outils de gestion, de communication et d’information des organisations et mouvements politiques ne sont pas compatibles avec les standards de gouvernance des partis politiques. Pour preuve, dans une enquête menée auprès de 500 jeunes sénégalais âgés entre 16 et 35 ans, the Millenial Dialogue, réalisé par le Imagine Africa Institute délivre un message intéressant pour ce qui concerne les attentes des jeunes. Il en ressort un décalage entre à la fois les supports et contenus de la communication politique et les attentes des jeunes citoyens.

Le principal défi se trouve alors dans l’intégration des jeunes citoyens dans les partis politiques. Les plateformes citoyennes d’information citoyennes sont rares. Même s’il existe des initiatives comme  SIGeGIS, le constat est que le rendez-vous avec le digital est raté par le système politique sénégalais.

Les raisons explicatives du rendez-vous manqué peuvent être situées à quatre niveaux. Il s’agit premièrement du non renouvellement des élites politiques. Le moteur de la circulation des élites est en panne du fait de l’introduction de la culture des ainés dans le champ politique. Le personnel politique est vieillissant alors que les programmes et les idéologies politiques se renouvellent. La conséquence est une reproduction des modèles classiques non adaptées aux besoins de la majorité à savoir les jeunes.

La deuxième raison est l’absence d’une démocratie interne au sein des partis politiques. Ce qui affaiblit les débats d’idées dans les appareils politiques et leur patrimonialisation.

La troisième est le décalage dans l’évolution du système politique. Celui-ci se situe entre la dynamique, les normes, valeurs et les acteurs. Les effets directs sont la panne du mécanisme de fabrication et de sélection de la culture politique (disparition des écoles de partis).

Enfin, la dernière est l’isolement du politique et son accaparement du social. Le tout politique s’explique par la peur de la perte des privilèges dans un contexte de dilution de la prérogative politique dans l’échec du bilan de l’Etat et du système démocratique (incapacité à enrayer la crise économique, la pauvreté, le sous-emploi).

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